Je rongeais mon frein en attendant de pouvoir mettre ma nouvelle félonie à exécution. Il me fallait une excuse pour voir Amira, et voilà qu'elle me la fournissait aussi facilement que si elle avait décidé de l'afficher en grand au pub des 4 balais! Je n'en revenais pas. Quand j'avais appris, par un de mes intermédiaires du Ministère, qu'elle avait de nouveau fait une crise, j'ai décidé de sauter sur l'occasion. Le très cher et adorable Ethan pouvait revenir sur les devants de la scène consoler sa pauvre amie perdue dans un monde où elle est décidément bien trop fragile.
Une lettre, aussi pleine de faux sentiments qu'une missive aussi courte pouvait l'être, suffirait à convaincre mon "amie" de me rejoindre. Car voyons, que peut-on me refuser, quand je me comporte comme je l'ai fait avec Amira? Il ne me restait plus qu'à remettre mes talents d'acteur à l'épreuve, de lui arracher quelques sourires, et le tour serait joué. Le moment et l'endroit, un véritable enfer pour les claustrophobes et les agoraphobes, semblaient particulièrement opportun pour une énième crise, à laquelle j'assisterai pour la tourner à mon avantage.
Je me préparai lentement: tout devait être parfait, précis à la seconde près. Mes cheveux seraient lisses et sombres aujourd'hui, avais-je décidé. On me reconnaît ainsi moins facilement, d'ordinaire, et il ne fallait surtout pas oublier qu'aujourd'hui, je n'étais pas censé être repérable. Je risquais de me fourrer dans de graves ennuis si jamais j'échouais et qu'on m'attrapais. Non seulement par mon groupe, car un "Méchant" trouvé en compagnie d'une FSI était évidemment très mal vu, mais aussi par mon travail, qui n'apprécierait pas que je me joue d'une femme sans défense pour servir de sombres desseins. Je jetai un coup d’œil maintenant plus incertain sur l'horloge de mon studio. 16h15. Si je me conformais à mes plans, il était temps d'envoyer mon hibou.
Chère Amira,
Que dirais-tu d'un verre pour passer tous les deux du temps en charmante compagnie? Il y a longtemps que l'on ne s'était accordés un moment ensemble.
Je serai au Chaudron Baveur à six heures.
Loki Laufeyson
Je fronçai les sourcils. Allait-elle venir? Je n'en saurais rien tant que le tocsin de l'heure fatidique n'avait pas sonné.
Je lançai le hibou, après avoir accroché la courte lettre à sa patte, qui m'adressa un regard interrogateur. Oui, il y a de nombreuses semaines que je n'étais pas sorti de chez moi, hormis pour me rendre au travail. "Allez, file, et tâche de ne pas traîner en chemin", lui soufflai-je alors qu'il déployait ses grandes ailes grises et marron au delà de mon balcon fleuri.
Verrouillant magiquement la porte de mon appartement, je sortis et profitai des doux rayons de soleil qui réchauffaient ma peau blafarde. Un vent léger me fit voler quelques mèches de cheveux. Je m'y rendrai à pieds. Cela faisait trop longtemps que j'étais enfermé dans ma routine infernale. Depuis combien de temps n'en avais-je pas pris pour moi? Je serais en retard, mais après tout, j'aimais me faire attendre. Cela soulignait le fait que j'étais important. Surtout aujourd'hui. Il ne fallait faire aucun faux pas, et une entrée remarquée serait sans doute à mon avantage.
Alors que je pénétrai dans le Chaudron Baveur, je fus saisi par l'odeur de poussière qui me prit à la gorge. Elle formait comme un rempart au soleil qui illuminait le pub d'un seul lugubre rayon orangé, contrastant avec le soleil d'une fin d'été illuminant les rues et aveuglant les passants lorsqu'ils entraient dans un bâtiment. Clignant des yeux, je me forçais à respirer normalement, mais un sifflement me fit comprendre que ce n'était pas possible. Je toussai pour chasser la poussière engouffrée dans mes bronches. Jetant un coup d’œil sceptique au décor du pub, je passai un doigt sur la table non loin de moi, et claquai la langue quand je m'aperçus qu'il était déjà plein de crasse. Un long trait fin se dessinait maintenant sur le bois foncé, qui avait dû, à une époque lointaine, être de l'acajou. Je restai à quelques pas du seuil, essayant de distinguer les étranges silhouettes se découpant sous les lueurs vacillantes des bougies afin de trouver mon invitée. L'une d'entre elles, mince, effilée et immobile comme de la pierre, excepté ses doigts fins qui tapotaient le comptoir auquel elle était adossée, retint mon attention. Je préparai mon expression faciale, qui arborera un petit sourire timide, et allai la rejoindre.
"Amira? Je te demande pardon pour le retard. Enfin, tu dois avoir l'habitude maintenant!" Je m'autorisai un petit rire. Qu'elle le comprenne comme elle veuille. "Je ne sais même plus si au bout de toutes ces fois, je dois encore m'excuser! Ça doit presque être plus énervant que mon retard en lui même... Mais assez parlé de moi. Comment vas-tu, mon amie?" me risquai-je à lui demander alors que je prenais place à côté d'elle et commandai un Whisky Pur-Feu légèrement dosé. La regardant droit dans les yeux, je lui souris. Je crois que je n'aurais pas pu mieux le réussir si j'avais été sincère avec elle.

Loki, je suis si heureuse de te revoir! Je commençais justement à me poser des questions quand à ta personne !

Première étape: faire durer les charmantes retrouvailles entres deux amis d'enfance. Je devais montrer à Amira que j'étais aussi impatient de la revoir qu'elle. Je lui avais visiblement manqué, puisqu'elle avait fait l'effort suprême de me rencontrer dans un pub insalubre et bondé; il était temps de lui montrer que je lui rendais la pareille. Je fis un effort pour répondre à sa question, bien que le sujet ne me plaise pas du tout et que je ne sois habituellement pas aussi bavard. Elle risquait de trouver cela étrange, mais je pourrais toujours mettre ça sur le compte des semaines qui nous ont séparés.

Je suis moi aussi, heureux que tu aies répondu présente à mon invitation quelque peu... Je toussai pour marquer ma gêne de parler de ce sujet inconvenant. ...Quelque peu malvenue dans les temps qui courent. Tu dois déjà être au courant, mais les quelques évènements qui se sont déroulés au Ministère très récemment n'ont fait qu'empirer les disparités entre Moldus et Sorciers. Je ne vais pas te mentir: si, les temps sont durs. Au bureau, je suis constamment amené à converser avec tous les représentants des Ministères étrangers et je suis plus que fatigué de leur rappeler que je ne sais pas plus que les autres quand la situation sera de nouveau stable. Je m'aventurais trop loin dans un sujet sensible: elle ne devait rien savoir de mon ascendance si particulière et si l'on suivait le fil de la conversation tel qu'il avait commencé, je n'arriverais pas à inventer un mensonge assez plausible pour qu'elle me fasse toujours confiance, malgré son incroyable naïveté. Seulement, je sais que le secret pour s'en sortir avec un mensonge, c'est d'y croire de toutes ses forces. C'est d'autant plus vrai lorsqu'on se ment à soi-même que lorsqu'on ment aux autres. Je bloquai donc ma respiration pour achever de me convaincre que non, je n'étais pas le descendant d'une créature reptilienne, bus le reste de mon whisky et changeai promptement de sujet. C'est d'ailleurs pour cela que je n'ai pas pu te voir pendant tout ce temps, pardonne-moi. Mais je ne t'ai pas invitée pour que nous parlions du travail! Je suis enchanté que tu ailles bien, mais voyons, Amira, quel genre de questions te posais-tu sur ma personne? Je serais heureux d'y répondre!
Dans quel pétrin m'étais-je encore fourré?! Je ne savais plus ouvrir ma bouche sans proférer une seule phrase qui ne risquait pas de me trahir! Si elle réfléchissait un minimum, elle se rendrait certainement compte qu'elle ne connait pas grand-chose à mon sujet. Je ne crois même pas lui avoir déjà parlé de ma famille. Enfin, avec un peu de chance, elle ne verrait là qu'une lamentable incompréhension due à une solitude trop longtemps profonde. Je croisai les doigts intérieurement et plissai les sourcils, laissant apparaître une multitude de plis sur mon front. Puis une idée me vint. Je la regardai fixement, la tête légèrement penchée à gauche, un léger sourire aux lèvres, comme si une question était attendue, puis feignais de subitement comprendre mon indélicate erreur en ouvrant grand les yeux. Euh... Tout compte fait, je ne pense pas vouloir entendre ces questions. J'éclatai d'un petit rire franc en guise d'excuse, et passai la main dans mes cheveux pour montrer ma gêne. Les battements de mon cœur, qui s'étaient accélérés, ralentirent d'un coup et je pus me détendre un peu. Je n'aurai probablement plus le droit à l'erreur, maintenant. Ah... Je ne suis vraiment pas très doué pour lancer les conversations... Que dirais-tu de partager avec moi l'idée que tu as de grandes retrouvailles? De quoi veux-tu parler avec ton pitoyable ami? Pitoyable était bien le mot. Être obligé de me rabaisser constamment pour rattraper mes erreurs de débutant me rendait fou. De quoi aurais-je l'air maintenant? Il me fallait me ressaisir. Trouver un point d'accroche.
Je vis dans les yeux de mon interlocutrice l'éclat de bonheur qui les rendait si brillants. Elle semblait tellement heureuse que tout compte fait, elle ne verrait probablement en ce lamentable rattrapage qu'une forme d'humour assez subjective et sourirait-elle sûrement à ces excuses, à mon avis déjà acceptées. Je me calmai et lançai quelques pièces au barman pour commander un simple soda de branchiflore. Je me retournai ensuite, vers mon amie, l'air quelque peu embarrassé, mais un sourire avenant l'incitant à reprendre la parole.