Elle avait encore du mal à y croire. Crane fixait la route avec obstination, sans un mot, et tout aussi silencieuse, Alice le lorgnait du coin de l'oeil. Seul le ronronnement du moteur plus tout jeune troublait l'atmosphère lourde de l'habitacle. Cela faisait près de deux heures qu'ils parcouraient cette autoroute quasi-déserte et Alice commençait à se sentir ankylosée mais se gardait bien de se plaindre... Il était déjà bien trop incroyable que Crane, terriblement rationnel, se soit laissé entraîner là-dedans sans chercher à savoir quelles pourraient être les éventuelles conséquences de cet acte.

Et le nom de Swindon se mit enfin à apparaître sur les panneaux indicateurs.

- Par là. Indiqua-t-elle d'une voix neutre. La chapelle et le cimetière se trouvaient quelque peu en retrait de la ville plus moderne, tous proches du manoir Mogg.

Le psychiatre se gara, et Alice prit soin de brandir sa baguette avant même de pousser la portière. Elle savait à peine si les Mangemorts étaient de son côté - ou du moins, si elle était du côté des Mangemorts serait plus correct, mais n'oublions pas à quel point elle est égocentrique - donc dans le doute...

*A croire que mon seul allié est ce Jonathan Crane que ma seule vue révulse... Il n'est pas un ami, Alice. Il n'est pas fiable, ne l'a jamais été. Et pourtant nous sommes là... Il n'est pas là pour toi. Il n'est là que par intérêt personnel...*

Peu importait. Serrant une minuscule boussole qu'elle croyait brisée dans sa main, elle se dirigea droit vers le tombeau familial des Mogg, l'un des plus vastes du cimetière. La grille grinça quand elle la poussa, lui remémorant les torrents de larmes amères qu'elle avait versées dans ce qu'elle croyait alors être sa dernière demeure... Et Victor l'avait sauvée, en un sens. Où était-il, à présent...?

*Il m'a abandonnée... Alors quels scrupules pourrais-tu encore avoir...?*

Elle se tourna vers Crane qui traînait d'un air écoeuré entre les tombes, et lui fit signe d'entrer, ce qu'il fit à contrecoeur avant qu'elle ne verrouille la grille derrière lui, par sécurité.

- Alohomora.

Alors, lentement, comme dans un rêve, la pierre se descella, le cercueil se souleva, flottant sans support, et son couvercle s'ouvrit avec une sorte de délicatesse silencieuse, arrachant les clous qui le maintenait clos. Crane poussa une exclamation dégoûtée, se protégeant le nez contre l'odeur de putréfaction. Il s'approcha néanmoins du corps, examinant l'ensemble aussi soigneusement qu'il avait déjà détaillé les murs...

- Je ne vois pas cette rune, s'agaça-t-il en détaillant la fille von Gotha d'un air soupçonneux traduisant sa probable impression d'avoir été piégé, sans défense.

- Pas encore, répondit-elle en tendant la main pour récupérer la relique. Puis, comme subitement consciente - si - de l'étrangeté malsaine de la situation, elle ajouta d'un ton étrange, comme déjà fasciné : Tu voulais savoir ce qui se passerait, n'est-ce pas...? Ce serait dommage de reculer maintenant...

Avec une mauvaise volonté apparente, il lui tendit finalement l'objet. Guidée par ses instincts et de vieux souvenirs adaptés de ces horribles grimoires de magie noire qu'elle chérissait profondément, Alice incisa le corps au niveau de la poitrine, y glissa la pierre, et fit cicatriser assez grossièrement la plaie - bien plus difficile à réaliser sur un corps sans vie - indifférente à l'odeur de mort qu'elle dégageait.

*Ne reviens pas sous forme d'ombre, pitié...*

Alors, aidée de sa baguette, elle fit tourner trois fois la pierre sous Sa peau.
Entendit comme un hurlement qui évoquait sa propre voix.
Ne pouvait dégager ses doigts de sa baguette brûlante qui semblait drainer son énergie.

Ses genoux se dérobèrent. Elle eut à peine le temps de voir Crane sombrer à son exemple.

*March or die...*

Et tout devint noir.
Silencieux.

Un halo lumineux s'éteignait progressivement dans le corps inerte de Mogg, au rythme de chacune des bouffées d'air qui s’insufflait dans ses poumons. Lorsqu'il disparut totalement, Lucifer esquissa un geste brusque en se redressant de façon assise, momentanément étourdi comme après un lendemain de cuite.

Le visage d'un homme lui apparut. Sheffield ? Une parole inaudible et insensée qu'il se souvint avoir lui-même prononcé résonna dans ses tympans, celle qu'on ne peut déclarer qu'au seuil de sa propre mort... Une voix atroce hurla le sort fatal, celui qui lui ôta injustement la vie, le seul qui pouvait l'éloigner définitivement d'Elle, et qui avait finalement déchiré une dernière fois son corps.

Encore suffoquant de ce soudain et douloureux souvenir, il s'extirpa rapidement de sa tombe, tout tremblant, les mains recroquevillées autour de son ventre presque squelettique. Il faisait si froid... Lucifer Mogg recouvrait la plupart de sa mémoire et de ses émotions lorsque, tenant à peine debout sur ses jambes alourdies par ses vieilles rangers, il tenta de traverser le tombeau, les yeux fermés éblouis par l'exubérante lumière d'un coucher de soleil.

Without a thought, without a voice, without a soul
Don't let me die here, there must be something more...
Bring me to life...

Mogg s'assit sur un cercueil, se prit la tête entre ses mains blafardes et se força à penser. Rejoindre le Manoir était son but ultime à présent, à moins qu'il ne s'écroule sur un sentier en attendant la mort, une nouvelle fois. Marcher s'imposait donc, Marius ou pas, il fallait survivre, maintenant qu'un semblant de vie lui avait été accordé. Pour quelle raison, d'ailleurs ? Il ne préféra pas soulever la question, pas maintenant.

Empruntant un chemin qu'il savait être un raccourci, Lucifer se révulsa à la vue du Manoir au loin et jaugea préférable de saisir sa baguette, même s'il lui serait difficile d'en faire usage...

*Fuck. off.*

I've been sleeping a thousand years it seems
Got to open my eyes to everything.

Réfléchir encore... Son cerveau lancinant lui ordonna de se fouiller, Ethan était enterré avec sa baguette, lui. Oui, mais il n'était pas Ethan... Arrivant au niveau de sa cape, il sentit un objet dur dans le revers. En deux temps trois mouvements il s'était débarrassé du tissu et avançait baguette en main sur un sol boueux.
Au fur et à mesure, il pouvait distinguer des éclats de voix, puis des silhouettes... Alors Mogg se dissimula derrière un chêne à l'orée de la vieille bâtisse.

- T'y vas pas avec ta bécane ? Va pas te désartibuler hein ! s'exclama une première voix.

- J'ai d'jà transplané d'ici à Londres, gamin. R'tourne voir les autres, j'vous r'joins c'soir, annonça une seconde voix, plus grave et beaucoup plus détendue que la première. Vivement qu'on s'barre d'ici putain.

Des bruits de pas, un instant silencieux...

- Oh, et merci Raf'... On nous aurait laissé pourrir là-bas, sans toi pour nous libérer.

Un autre silence, McBlake terminait de fumer sa clope, Dawson était rentré à l'intérieur... Mogg en profita pour l'attirer en produisant des étincelles rouges avec sa baguette, espérant que Raf soit assez stupide pour venir tout seul jusqu'à lui, ce qui fut le cas. A peine une minute s'écoula, appuyé contre l'arbre, lorsque le plus grand des frères McBlake se pointa, le visage marqué par l'incompréhension lorsqu'il l'atteignit.

- T'as pas assez bu pour que je sois un fantôme, ironisa le revenant avec un sourire froid, rassuré qu'il n'en soit pas un.

McBlake le fixa, perplexe, avant de lui donner un gros coup à l'épaule qui le fit basculer dans les feuillages.

- Okay, mais si t'es un zombi j'hésiterais pas à t're'buter, prévint-il après sa vérification cognitive. Redevenant subitement sérieux, il questionna : On t'a enterré y'a des mois d'ça, tu m'expliques ?

S'époustant pour on ne sait quelle raison, Lucifer répondit par la négative, puis jetant un regard au Manoir, déglutit difficilement. Il est là ?

- En quelque sorte, se marra intérieurement Rafael McBlake. Faut pas qu'tu restes là si tu tiens à ta vie.

*Laquelle...*

- Tu partais ?

McBlake n'avait pas tort, peut-être qu'il représentait même sa seule chance de s'en sortir.

- J'peux pas prendre le risqu-

- J'en ai déjà pris, pour ton frère, se rappela-t-il à l'instant, en essayant de tenir debout. Et pour toi.

La mauvaise volonté du Mangemort l'étonna presque... Qu'est-ce qui pouvait bien lui faire aussi peur ? Qu'est-ce que Sheffield leur avait dit pour justifier son décès... Il sentit de nouveau un froid terrible le submerger et tous ses muscles se contractèrent pour finalement perdre l'équilibre et atterrir dans une pièce suffocante. Malgré sa lutte pour ne pas sombrer dans les bras de Morphée, tout son être sembla décidé à le plomber au sol, et dans ce court instant de divaguement il crut L'apercevoir, penchée sur lui, le rouge éclatant de son oeil le veillant envers et contre tout.

Frozen inside without your touch,
Without your love, darling.
Only you are the life among the dead.