C’était comme perdre son temps, Et bizarrement elle s’en fichait. Elle avait perdu sa combativité depuis… Depuis qu’elle avait rencontré le docteur Crane, en fait. Mais elle n’y pensait pas, elle ne cherchait pas à comprendre ou à analyser quoi que ce soit.
Léthargie. Surtout, ne pas penser.
A peine si elle se rappelait qui elle était et d’où elle venait. Quant à l’anormalité de la situation… Diable, cela faisait bien longtemps que tout cela lui avait échappé.

Plus ou moins avachie dans un fauteuil d’opération moldu - d’un vert olive assez moche bien à la mode dans les années soixante - Alice s’ennuyait ferme, créant des formes de fumée du bout de sa baguette… Sa baguette ? Un flash-back s’impose.

Comme d’ordinaire, ses souvenirs à court terme s’évaporaient très vite, aussi avait-elle du mal à se rappeler comment elle était arrivée dans cette espèce de grande clinique moldue désaffectée. Si tant est qu’elle ait seulement éprouvé l’envie de s’en souvenir, certes. Elle avait suivi le psychomage – psychoLOGUE, ne cessait-il de la corriger – qui avait vraisemblablement l’autorisation de la faire sortir, sans qu’elle ne sache trop pourquoi.
Ah oui. Pour ses aveux. Quoi qu’il en soit, ils avaient pu sortir sans encombre de Sainte-Mangouste, et elle était docilement remontée dans l’engin roulant moldu malodorant.
Pour des heures. Bercée par le mouvement et le silence, elle finit par s’endormir…

Une bourrade dégoutée l’avait réveillée, alors qu’il faisait déjà nuit, et Crane la fit entrer dans sa nouvelle demeure.
Cet immense hôpital vide.
A première vue, seul un sous-sol était encore utilisé : il s’agissait en fait d’une sorte de vaste laboratoire qu’utilisait le docteur Crane. Elle n’avait fait que le traverser très rapidement, et il l’avait enfermée dans une nouvelle chambre. Le lit métallique, les draps sentant un peu le moisi, tout datait d’une autre époque… Quoi qu’il en soit, elle n’eut aucun mal à s’endormir.
Le lendemain, sa porte était ouverte, et son colocataire absent. Elle remonta les escaliers, sortit, respira l’air frais, enfin. Elle aurait pu fuir, elle se contenta de rester assise, le regard vide, durant une heure ou deux. Avant de retourner fouiller le labo et de justement retrouver sa chère baguette dans le bordel laissé par Crane, vraisemblablement parti précipitamment ce matin. S’en suivit l’exploration de l’hôpital dans son entier. Vide, obsolète, n’abritant que des rats et autres bestioles parasites.

Mais elle n’éprouvait toujours pas le besoin de fuir.

Il lui était apparu par la suite que Jonathan Crane était bien un sorcier, un sorcier peu commun. A croire qu’il se planquait, à faire semblant de vivre comme un moldu… Mais certains instruments qu’il utilisait, certains ingrédients, même, témoignaient de son appartenance à la communauté magique.

Là encore, elle ne cherchait pas à se rappeler. Mais son psychomage ne se contentait pas de la psycho-analyser. Il cherchait, selon ses dires, un moyen de la guérir. La guérir de quoi ?... Elle refoulait toutes traces de ces expériences, malgré les marques physiques qu’elles lui laissaient, parfois.
Peu importait, chaque fois elle se réveillait dans sa chambre, plus ou moins saine, violentée uniquement par la science.

Mais elle n’éprouvait toujours pas le besoin de fuir…

Elle avait besoin de lui. Elle s’efforçait de ne pas y songer, pour ne pas se rappeler la raison précise de ce besoin dont il l’avait persuadée, mais elle savait qu’elle devait rester. Il n’y avait nulle part ailleurs où elle désirait être, car qu’y aurait-elle trouvé après tout… ?
A défaut de la sauver, il pouvait l’aider.

La porte claqua. Sortant de sa léthargie contemplative, Alice se redressa, passa une main dans ses cheveux courts. Elle avait été rasée à Sainte-Mangouste, et avait éprouvé le besoin de faire repousser ses cheveux en croisant un miroir craquelé il y a quelques jours de cela.

Elle descendit jusqu’au sous-sol d’un pas nonchalant qui n’avait rien à voir avec la Duchesse Alice von Gotha qu’elle avait été.
Cette fille était morte, et elle, elle savait à peine qui elle était. Mais tant qu’elle ne ressentait rien, tant qu’aucun son parasite ne résonnait dans son cerveau… Etrange phobie, n’est-ce pas ? En effet, Alice avait également refoulé l’existence de cette voix parasite qui se taisait depuis son arrivée ici, conservant néanmoins la peur d’entendre quelque chose ne lui appartenant pas s’installer dans sa propre tête.

Elle poussa la porte, Jonathan Crane avait déversé le contenu d’un grand sac sur son immense table de travail et s’occupait à y trier avec maniaquerie. Sachant pertinemment que ça l’agacerait, elle se saisit d’un petit instrument de cuivre dont elle ignorait la fonction – sans doute parce qu’il s’agissait d’une babiole moldue – et l’examina un moment, avant de le rebalancer sur le tas.

- T’aurais pu me ramener un bouquin, ou j’sais pas. J’m’ennuie ici, et j’veux pas croiser les moldus dehors.

Comme si c’était son genre, de lui rendre la vie facile. Et elle disait « moldus », pensant seulement « gens »…
D’un accio informulé, elle attira à elle une bouteille de bière d’un pack abandonné en bout de table, histoire de l’énerver davantage. Oui, elle aurait pu fuir comme elle voulait, et il le savait. Pourtant elle restait… Par facilité, peut-être.

« I wasted my time as I get wasted every night… »

Le gout était plus amer que celui de la Bièraubeurre, et même si elle ne l’aurait jamais avoué, elle préférait. Rebaissant son coude, essuyant d’un revers de manche ses lèvres humides, un détail, tout petit détail la frappa de plein fouet.
Crane élevait une petite pierre pas plus grosse qu’un dé devant sa lentille-microscope. Une petite pierre polie, qu’elle avait déjà vue auparavant, elle en était certaine.

Le temps s’arrêta subitement, ses yeux écarquillés, elle pouvait entendre chacun des battements de son cœur résonner dans ses oreilles sourdes. Plus rien n’existait, si ce n’est cet objet. Et si Crane n’était pas en mesure de l’identifier, alors…

Alors sans qu’il s’en doute elle n’aurait bientôt plus besoin de lui.

*Heureuse de te retrouver, Alice. Maintenant, reporte cette bouteille à tes lèvres. Trèès bien. Et patiente, surtout, il ne doit se douter de rien. Ou pire : il doit croire que tu lui apportes ton aide…*

- Ça t'intéresse ?

Dammit, pas assez discrète - enfin, elle n'avait jamais été spécialement bonne actrice. Il la dévisageait avec un intérêt un peu malsain, sa voix aux intonations mystérieuses lui faisant craindre qu'il eut connaissance de la relique sans prix qu'il tenait entre ses doigts. Il aurait été capable de la mettre hors de sa portée juste pour la torturer...

- Tu as une idée de c'que ça pourrait être ?

Son ton professoral ne la trompa pas, toutefois, il ignorait tout. Mais pouvait-il ignorer la puissance magique qui se dégageait de l'objet...? Elle posa sa bière sur la table de travail, haussant un sourcil blasé.

- Un caillou taillé ?

Ton sarcastique, elle s'approcha néanmoins, faisant mine de ne pas y accorder d'importance.

- C'est même pas une pierre précieuse, déclara-t-elle d'un ton dédaigneux en la prenant nonchalamment entre deux doigts - preuve ultime que Crane ignorait toute la valeur de l'objet. Mais ça, c'est un vieux symbole magique, fit-elle en désignant le symbole triangulaire des reliques de la mort, gravé sur la pierre. Une rune, mentit-elle avec un sourire un peu forcé.

Elle l'observa un peu, faisant mine de fouiller ses souvenir pour la décrypter.

- Elle est trop ancienne pour que je la déchiffre, mais...

*Invente n'importe quoi. C'est une chance inouïe qui ne se répètera jamais, tu DOIS réussir. COME ON.*

- ... mais je l'ai déjà vue gravée ailleurs. Un peu glauque, peut-être, dans une chapelle sépulcrale... Evidemment tu veux peut-être pas perdre ton temps sur un banal caillou.

Il lui accorda un sourire sceptique, auquel elle répondit par un sourire. Il n'était pas dupe, mais en tant qu'universitaire, il demeurait singulièrement curieux... Il saisit sa veste, ses clefs, et lui indiqua la sortie d'un geste du menton, apportant sa contribution à leur accord tacite. Alice se précipita à sa suite, euphorique, prête à remettre les pieds à Swindon Cemetery... soit ça fonctionnait, soit c'était la fin de tout, elle le savait. Sa dernière chance. Si Crane savait...

*March or die, march or die...*