Après avoir effectué toutes les brigues pour atterrir au Ministère de la Magie, Crane décida de prendre l'escalier plutôt que l’ascenseur pour rejoindre son bureau d'affectation. Plus ces gens étaient loin de sa personne, mieux il se portait (et inversement). Une fois les cinq niveaux descendus, il rajusta sa cravate, replaça ses lunettes de vue sur son nez, et entra dans le Département en tenant une mallette de cuir dans sa main gauche.

Comme il s'y attendait, l'endroit était rempli de "gadgets" magiques et d'employés débordés. Il faut dire que Jonathan était arrivé aux heures de pointe : au milieu de l'après-midi.
Il venait très rarement ici, préférant largement son travail à l'Université de Glascow, mais il tenait aussi absolument à s'informer de l'état du Ministère magique, s'inquiétant des récents évènements découverts dans la Gazette du Sorcier. Le Dr. Crane commença à s'engager lentement dans une allée qui séparait deux rangées de bureaux, le personnel fit à peine attention à lui. Les ordres du Premier Ministre moldu étaient très clairs : "Informez-vous de la situation actuelle du Monde magique, et assurez-vous qu'ils prennent de bonnes mesures face à ces gens... Les Macchabéesmorts, ou je ne sais plus trop quoi".

[Bien sûr, Monsieur le Premier Ministre, j'y vais de ce pas, parce que vous avez trop peur d'eux pour y aller vous-même, et que je ne suis pas assez débordé à votre goût.]

Il fallait donc qu'il discute avec Percy Weasley, le seul sorcier qu'il pouvait encore supporter, et celui-là même qui l'avait fait sortir de prison. A vrai dire, ils auraient dû être scolarisé dans la même promotion, si Jonathan n'avait pas abandonné ses études de sorcier dès sa rentrée.

Excusez-moi, Monsieur Weasley est dans son bureau ? Demanda-t-il à une jeune sorcière au teint blanchâtre, qui était sûrement la personne la moins stressée dans cet endroit. Elle avait sursauté en croisant les yeux bleus évaporés du Psychologue.

Oui, il n'a pas bougé depuis ce matin, je vous conseille de ne pas le déranger.

Il acquiesça poliment, toujours avec sa courbe entre ses sourcils, avant de reprendre sa marche vers le petit bureau à la porte fermée. Crane évita de justesse un avion de papier volant et un jet d'encre en pleine crise de folie.

[Je les déteste, je les déteste, je les déteste.]

Une furie arriva à sa hauteur et lui tendit ses parchemins, les collant au niveau de son ventre et les lâchant presque aussitôt, obligeant Jonathan à les attraper pour ne pas qu'ils s'éparpillent par terre.

Tenez-moi ça pendant que je refais mon lacet.

Il les avait déjà laissés tomber au moment où la femme lui avait donné un ordre. Il souriait presque de son petit éclat. La sorcière à l'allure de secrétaire (sa cape et ses bottes en cuir lui faisaient défauts) protesta. Le docteur se retourna et s'écarta de la femme accroupie en ignorant sa voix insupportablement aigüe. Regardant la porte de loin, comme figé au milieu de l'allée, il se demandait s'il n'allait pas plutôt rebrousser chemin et finalement assurer son cours de Psychologie, au détriment de ses pauvres élèves qui pensaient pouvoir profiter deux heures de liberté.

Duc, titre sans importance dans la plupart des régimes politiques, de nos jours. Mais très conservateur, très sélectif, et très indépendant du monde moldu, l'Empire Sorcier Austro-Allemand reconnaissait volontiers la supériorité des détenteurs de lettres de cachets, généralement médiévales et basées sur la pureté du sang. Ludwig Von Gotha avait donc un statut singulièrement élevé au sein du gouvernement de sa patrie, renforcé par les alliances entre grandes familles, devenues consanguines avec le temps, et notamment par son mariage avec l'une des héritières Habsbourg... D'où son rôle d'ambassadeur occasionnel, qu'il occupait de plus en plus souvent depuis sa connaissance de la prophétie, mais encore davantage depuis que le groupuscule britannique reconnu sous le terme de Mangemorts semblait avoir trouvé le moyen de la réaliser.

La fréquence de ses visites au ministère britannique restait tout de même assez restreinte, et il ne s'y rendait pas plus d'une ou deux fois par mois. Ses visites s'expliquaient officieusement par la position stratégique du ministère, au sein duquel cet insupportable Potter avait trop de poids... Aux mains des Mangemorts, dirigé par leur futur Maître, l'Angleterre cesserait d'être ce poids mort d'adorateurs des moldus. Les autres gouvernements sorciers étaient bien plus aisés à corrompre - sans doute parce qu'ils ne disposaient pas de "héros nationaux".

Officiellement, le très courtois et avenant Ludwig Von Gotha venait se renseigner auprès de Percy Weasley sur les mesures prises pour rechercher les Mangemorts, et sur la sécurité mise en place autour de Poudlard, école où se trouvait sa chère fille. Si sa réputation de tueur de vampire n'était ignorée de personne, son dégoût des moldus n'était connu que de ses très proches relations. D'autre part, l'absence de tatouage sur son avant-bras le rendait insoupçonnable - il n'avait donc pas la moindre difficulté à récupérer de manière fort discrète toutes les informations qui l'intéressait.

Il n'appréciait pas Weasley. Il n'était à ses yeux qu'un petit arriviste soucieux de sauver l'honneur de sa famille en se rattachant au camp le plus fort... Peu importe. Jouer la comédie de la politesse était un automatisme depuis de bien longues années.

Résultats satisfaisant, ce jour-ci. Du moins, pas de la part du ministère. Les protections mises en place par feu Ethan Mogg et Sullivan Wrong of Derby pour protéger le QG et les membres de leur groupe étaient des plus efficaces, et le ministère piétinait, au grand dam de Potter qui semblait, d'après les dires de Weasley, "développer une calvitie due au stress". Le Duc s'était retenu de rire, buvant une gorgée de thé pour donner le change...

- Je vous remercie de votre visite, Monsieur Von Gotha, et j'espère aussi que nous mettrons vite la main sur eux...

"Monsieur". Von Gotha détestait ce terme conventionnel, applicable à n'importe qui. Sourire poli, il se leva de sa chaise, tendant sa main d'oisif à Weasley.

- Je sais que vos aurors font le maximum, Monsieur Weasley. Au revoir.

Signe de tête poli, sourire nerveux du britannique.

- Au revoir.

*Il sent la sueur et le stress, et garde l'aspect miteux de sa famille malgré son poste, c'est tellement pitoyable...*

Pousser la porte, perdu dans ses pensées peu flatteuses. Lever des yeux indifférents sur la pièce qu'il s'apprêtait à traverser... Se figer quelques instants, mémoire parfaite, il savait précisément qui était cet homme au regard presque mort.

Un certain sang-de-bourbe du nom de Crane qui leur avait fourni une arme des plus précieuses durant la dernière guerre. Employé à Azkaban, génie au sang souillé, aberration de la nature. Le genre de pion à sacrifier stratégiquement sur un échiquier. Et Von Gotha l'avait rencontré, il avait même réussi à lui inspirer confiance, grâce à son masque. Mais à présent... Toute duperie était inenvisageable, et ce type connaissait bien trop son vrai visage...

*Ainsi, l'emprisonnement n'aura pas eu raison de lui...*

Expression courtoise supérieure, il se dirigea droit sur lui, analysant la scène d'un coup d'oeil. Un coup d'informulé rassemblant les papiers de la sorcière éparpillés à terre en une pile parfaite, il les tendit à la sorcière contrariée. Sourire poli.

- Veuillez pardonner les manières discourtoises de mon... ami. Il a reçu une éducation particulière qui excuse son comportement...

Remerciements, regard extatique, joues rouges, et départ précipité. Von Gotha fit face à Crane avec arrogance, sans se départir de sa politesse et de son sourire décalé.

- Cher Monsieur Crane, c'est une surprise.

Ton subtilement venimeux, s'achevant dans un murmure :

- Je serais curieux de savoir quel effet produisent l'exposition à long terme d'un moldu tel que vous à la présence de nos subtils détraqueurs... Mais éclairez-moi d'un doute... Les sang-de-bourbe ont-ils la possibilité de les admirer ?... Enfin...

Von gotha détailla Crane de haut en bas. Vu de l'extérieur, leur échange semblait absolument courtois et conventionnel...

- ... Je ne crois pas me tromper en prétendant que vous êtes bien au-dessous de ce terme.

Crane restait figé, attendant qu'un certain Ludwig Von Gotha- impossible d'oublier ce nom- termine son acte héroïque envers sa consoeur sorcière. Il tourna sa tête par dessus son épaule, juste le temps de s'apercevoir que la secrétaire rougissait.

Veuillez pardonner les manières discourtoises de mon... ami. Il a reçu une éducation particulière qui excuse son comportement...

Ultime provocation, Jonathan se contenta d'hausser les sourcils en souriant très discrètement.
Cet homme l'avait délibérément manipulé dans sa jeunesse, les conséquences avaient été déplorables. C'était en partie de sa faute s'il s'était retrouvé en prison alors qu'il n'était âgé que d'une vingtaine d'année. Le psychologue ne l'avait plus revu depuis, et la Justice magique n'avait jamais pu incriminer cet homme, si affluent, si important.
Étrangement, Crane ne ressentait aucune peur, aucun malaise. Si Azkaban lui avait bien inculqué quelques leçons, se serait la maîtrise de soi-même et le recul.

Cher Monsieur Crane, c'est une surprise.

Oui, c'en était une. Le hasard leur avait permis de se rencontrer une deuxième fois... Le ton courtois de cette phrase paraissait effroyablement ironique. Mais Crane savait maintenant qui il avait en face de lui... L'homme essayait de ne pas attirer l'attention sur eux. Il se demanda même si le Duc allait pousser le vice plus loin en lui tendant la main.

Je serais curieux de savoir quels effets produisent l'exposition à long terme d'un moldu tel que vous à la présence de nos subtils détraqueurs... Mais éclairez-moi d'un doute... Les sang-de-bourbe ont-ils la possibilité de les admirer ?... Enfin...
Je ne crois pas me tromper en prétendant que vous êtes bien au-dessous de ce terme.

Moquez-vous, commença-t-il avait que le même sourire qui sonnait tout pareillement faux. Souvenez-vous que le sang-de-bourbe a quand même réussi à créer quelque chose qu'un sorcier ne pourra jamais réussir à imiter.

Il plaça sa main- qui n'était pas prise par sa sacoche- dans sa poche, ce qui lui donnait cet air si assuré et décontracté, puis continua dans son élan, d'un ton faussement étonné :

Je ne savais pas que vous aussi vous vous intéressiez de près aux affaires du Ministère.

Crane se déplaça et arriva aux côtés du Duc. Il parla à voix basse, d'un ton confidentiel, quasiment à l'oreille de son interlocuteur.

C 'est assez affolant de savoir que des gens comme vous fricotent avec la Justice. Je sais que vous et vos amis avez un plan... Ne comptez pas sur moi pour refaire mes erreurs passées, je vous ai à l'oeil. Tous.

Sur ces paroles éviscérées, il continua de traverser l'allée, pour atteindre le bureau de Percy Weasley. Sa démarche était des plus normal, et son visage impassible d'expression.

Crane sembla se plier à ses règles, ne souhaitant pas provoquer un esclandre ou étant conscient de la quasi-invulnérabilité du Duc dans un pays qui n'était pas le sien, et il le vit arborer ce sourire faux qui ressemblait assez au sien - si l'on exceptait le côté malsain qu'il pouvait donner à ce visage d'ordinaire si sérieux, pour ne pas dire dégouté.

- Moquez-vous. Souvenez-vous que le sang-de-bourbe a quand même réussi à créer quelque chose qu'un sorcier ne pourra jamais réussir à imiter.

Une veine sembla palpiter sur la tempe droite de Von Gotha, signe indiscernable de la vexation subie face à cette technologie moldue qui avait pu dépasser un instant la magie. Un coup dur, très dur, pour une création si utile... Dépasser l'humiliation subie - et un vague ébranlement de ses convictions - et utiliser cette essence de terreur... Non, le Duc ne s'en remettra sans doute jamais - et les vampires sur lesquels il avait défoulé sa rage non plus, paix à leurs âmes dans l'éventualité où ils en possédaient une.

Garder le sourire, toujours, même si cet infâme inférieur avait l'outrecuidance de ne pas se montrer apeuré par l'un des responsables de sa descente aux Enfers. Le contexte de leur rencontre, au sein d'un ministère grouillant de soit-disant bien-pensants, sans doute...

- Je ne savais pas que vous aussi vous vous intéressiez de près aux affaires du Ministère.

*On pourrait remplir ma bibliothèque si l'on devait coucher sur papier ce que tu ignores, immonde cafard.*

Crane se rapprocha de lui, stratégiquement, lui accordant un murmure discret, qu'il pensait sans doute être le point final théâtral de leur confrontation :

- C 'est assez affolant de savoir que des gens comme vous fricotent avec la Justice. Je sais que vous et vos amis avez un plan... Ne comptez pas sur moi pour refaire mes erreurs passées, je vous ai à l'oeil. Tous.

Large sourire, sincère, cette fois. Crane n'était qu'à quelques mètres du bureau de l'autre traitre à son sang de Weasley, quand Von Gotha dirigea discrètement sa baguette en direction de sa mallette - dont le fond céda éparpillant son contenu au sol, rajoutant au bazar ambiant de la pièce. Le Duc se rapprocha de lui d'un pas décontracté et supérieur, s'adonnant un instant à un léger rire curieusement agréable.

- ... Alors ouvrez grand vos yeux presque morts, Monsieur Crane. Tant de détails seraient susceptibles de vous échapper, n'est-ce pas ?

Le Duc jeta un bref regard aux papiers moldus qui s’étalaient à leurs pieds, sans esquisser le moindre geste pour tenter de les rassembler. Ce qui concernait ce monde d'attardés ne pouvait certainement rien receler d'intéressant...

- Mais je suis sûr que vous finirez par faire preuve de bon sens, le moment venu. Après tout, si vos veines sont irrémédiablement souillées, votre...

Le Duc s’interrompit quelques instants, l'air de chercher ses mots.

- ... utilité relative peut sans doute être encore exploitée.

Difficile d'évoquer son intelligence hors-normes, cet échec de la nature, sans se sentir vaguement humilié.

- Autant que ce soit de votre plein gré... Gardez à l'esprit que nous ne vous quitterons pas des yeux, nous non plus, et que vos faibles capacités ne vous seront d'aucun secours si le hasard voulait que nous désirions vos services.

Relever son menton dans une attitude arrogante, et attendre avec jubilation le spectacle du misérable moldu se trainant à terre pour récupérer son bien.

- Miss MuuurdooooooOOOC, pourriezvousapporterçaàlasecrétairegénéraledudépartementdelajusticemagiiiiique ?

Le cri strident de sa responsable lui fit relever le nez de la pile de parchemins administratif qu'elle avait à trier pour les archives. D'un côté, elle se réjouissait : elle avait besoin d'une pause, pour le bien de son acuité visuelle. D'un autre, elle aimait pas trop la secrétaire du Département de la Justice magique. Elle se consola en songeant qu'elle irait prendre un café avec deux-trois aurors qu'elle aimait bien et se leva de sa chaise, tendant négligemment les bras au-dessus des parois de son box. Elle entendit distinctement un soupir désespéré, et réceptionna un carton plutôt léger.

- Merci Mrs Darshin. ♪

En le portant d'une main, à la façon d'un serveur de bistrot moldu, elle se dirigea vers les ascenseurs - heureusement peu encombrés à cette heure de la journée. Elle avait des tendances un peu clostro, et la foule n'arrangeait rien... Elle monta en compagnie de notes de service et d'une petite vieille en déambulateur, à qui elle sourit. Elle se contenta de fixer ses cheveux d'un air désapprobateur en reniflant. Haussement d'épaules.

- Niveau 5 : Département de la coopération magique internationale. Lança une voix froide et féminine.

- Qué qué dit ?

Mais Pandora planta là la petite vieille bégayante impolie, et se dirigea vers le secrétariat concerné.

- Cadeau Léanne.

La dénommée Léanne, la secrétaire en question, leva sur elle un regard de poisson mort en machant un chewing gum la bouche ouverte. En soupirant, elle se leva et commença à fouiller le carton et la rouquine ne s'attarda pas. Sortant de la pièce, elle vit clairement un grand brun lancer un sortilège de découpe sur le sac d'un autre type. Rien de bien grave - ni de très surprenant dans un lieu comme le ministère - mais quand ce type se retourna...

*Ça existe pas des yeux pareils.*

Curieuse, et soumise à une certaine forme d'attractivité, la jeune fille s'approcha doucement des deux hommes...

- ... hasard voulait que nous désirions vos services.

Drôle de façon d'arranger un contrat. D'un coup discret de baguette, elle arrangea les feuilles en un tas à peu près propre, et se baissa pour les ramasser - jetant un coup d'oeil sur la première d'entre elle. Docteur Crane. Prière à un Jésus auquel elle ne croyait pas pour qu'il s'agisse de lui.

- Excusez-moi, vous avez perdu ça...

Croiser son regard. Ses yeux étaient trop fascinants pour échapper à un café - et pourquoi pas à une chambre d'hôtel - avec elle.

- Vous êtes Monsieur Crane ? Mon supérieur désirait vous rencontrer, je crois, voulez-vous bien me suivre ?

*Allez, viens !*